Journal de bord

Une journée type 

Cartes de l'itinéraire

Il est 6 heures, premier réflexe dès mon réveil : regarder le cap du compas.

J’éponge le hublot et la bulle qui ruissellent à cause de la condensation. Je jette un rapide coup d’œil à travers la bulle pour observer les conditions météo, l’état de la mer, la direction du vent et la tendance de la journée.

Je sors immédiatement mon GPS afin de connaître ma position exacte et d’en déduire le nombre de milles parcourus en 24 heures. Ce matin, 42 milles (soit 80 kms).

Une bonne moyenne !

Mon premier coup de téléphone est destiné à mon routeur Pierre Lasnier. Il m’informe des dernières prévisions météo pour les heures et les jours à venir.

Petit déjeunerJe prends ensuite un petit déjeuner énergétique à base de céréales, et fais un brin de toilette grâce aux lingettes. Je m’applique généreusement de l’écran total.

Je rame rigoureusement : 10 heures par jour avec une pause toutes les deux heures. La chaleur devient caniculaire à midi, pas moins de 30 ° à l’ombre, mais dans le cockpit il n’y a pas d’ombre. Dans la cabine, c’est le sauna : 35-40°. A l’heure où l’ensoleillement est au zénith, j’en profite pour mettre en route le dessalanisateur et consulter les messages du standard C (Télex).

Je recharge les piles de mon lecteur CD. Ce dernier ne tourne pas moins de 13 à 15 heures par jour, la musique m’assure un bruit de fond, une certaine compagnie, je chante, les poissons sont mon public.

La nuit à bord

la nuit à bordJe n’ai cessé d’être brassée d’un bord à l’autre, obligée de me caler avec des vêtements. Comme chaque nuit, la condensation m’oblige à éponger le plafond de la minuscule cabine toutes les heures.

L’ambiance sonore est assourdissante. Les parois en contre-plaqué de 12 mm produisent l’effet d’une caisse de résonance. Les vagues frappent violemment sur la coque du bateau, j’ai parfois le sentiment qu’il gémit de colère !

Depuis la tombée de la nuit le vent ne cesse de tourner. 4H du matin, la cabine est saturée en gaz carbonique. Pour la dixième fois depuis mon coucher, je dois une nouvelle fois monter sur le pont pour tenter de conserver le bon cap. Je suis furieuse, exténuée. D’un violent coup de pied je repousse mon sac de couchage dans la cabine. Le pourcentage d’humidité a atteint les 95%.

En me déhanchant tant bien que mal dans cet espace exigu et remuant, je parviens à enfiler mon ciré et mon harnais. Tant d’énergie déployée pour procéder aux réglages safran-dérive depuis le cockpit. J’ouvre le panneau de pont, une vague me surprend. Encore endormie par les quelques minutes de sommeil volées, je titube, je m’agrippe aux mains courantes pour ne pas tomber à l’eau. La manœuvre effectuée, je retourne dans ma cabine mouillant tout sur mon passage. Dans une heure le soleil se lève et ma journée aux avirons commencera.

La mi-parcours 

Le 14 décembre 1999, je passe enfin la mi-parcours.intérieur du bateau

C’est un moment fort.

Comme dans tout projet, cette phase est très importante sur le plan psychologique. Jusqu’à lors je comptais les milles qui me séparaient du Cap Vert, à partir de cet instant je vais compter les milles qui me séparent de l’arrivée en Martinique.

J’avais spécialement embarqué une petite bouteille de champagne pour fêter cette occasion, malheureusement entre le roulis et les 30 degrés, elle a éclaté il y a quatre jours ! Je suis trop fatiguée ce soir pour préparer quoi que ce soit.

Je suis à la limite de l’hypoglycémie, je n’ingurgite que 800 calories jours alors que le minimum requis en fonction de l’effort fourni est de 3300 calories. Lors de ma première traversée, j’ai perdu près de 15 kilos. C’est plus efficace qu’un club de gym et en sus j’ai la vue sur la mer ! La nourriture m’écœure, je rêve de salades de fruits, de steak tartare, de massages, de sodas avec des glaçons.

Je profite que la mer ne soit pas trop agitée pour aérer ma cabine et changer mes pansements. Le soleil, la réverbération, l’eau salée irritent ma peau, mes mains souffrent et mes fesses sont brûlées par le frottement et le sel, des escarres ont gagné la partie de mon anatomie la plus fragile. L’humidité et la chaleur ne favorisent guère leur guérison. Mon dos me fait souffrir, c’est décidé en accord avec mon médecin, j’attaque à partir d’aujourd’hui les anti inflammatoires pour soulager mes douleurs lombaires. La position assise en permanence me donne des douleurs au ventre.

La rencontreDans l’après-midi, j’ai l’agréable surprise de croiser un voilier australien à moins de 100 m. Etant très basse sur l’eau (25 cm), le couple de plaisancier ne m’aperçois pas immédiatement. Après un contact VHF, ils se rapprochent, me demandant mon âge et si j’étais seule. Je leur réponds que j’ai l’autorisation de mes parents. Ils ont ri. C’est un moment émouvant pour moi. La première rencontre depuis un mois, je me sens un peu moins seule tout à coup. Je ne serai pas aussi enthousiaste la nuit prochaine quand je serai abordée par un chalutier portoricain pratiquant un commerce pas très légal…

Les vents contraires

Depuis plus de 6 jours, je dois lutter contre des vents contraires. Chaque jour, le routeur météo m’annonce une rotation des vents ; je garde espoir, mais à mon grand regret je constate qu’il n’en n’est rien.

Je passe plus de 12 heures par jour aux avirons pour tenter de gagner quelques milles pendant la journée.

Ces quelques milles sont perdus pendant la nuit. Mon moral est au plus bas.

Afin de limiter la dérive et le risque de chavirage, le bateau est sous ancre flottante. Il convulse, laisse échapper des craquements plaintifs. Quand les secousses se font plus rares, je crains d’avoir perdu l’ancre flottante. Je me précipite alors sur le pont et vérifie que cette dernière est toujours solidement passée à son taquet.

Je pourrais me laisser dériver, attendre que la bascule des vents s’opère, lire, écrire…

Mais il n’est pas dans ma nature de me résigner : je préfère être dans l’action plutôt que de me lamenter sur mon sort et râler après la météo. Je tire sur mes rames jusqu’à l’épuisement, les tempes me lancent. La nuit, tous les quarts d’heure, j’allume ma lampe torche et la pointe sur les drapeaux à l’avant du bateau afin d’observer la direction du vent. Mais il me fait face. Je suis à l’affût de la moindre amélioration. Lors des vacations radio, on plaisante à ce sujet. Hier matin j’ai interdit toute remarque déplaisante quant à mon avancée.

Orientation Peggy en train de ramer

Noël en mer

J‘ai l’habitude de passer les fêtes de Noël en famille en Haute Savoie, sous la neige, un délicieux dîner, le sapin de Noël et les indispensables cadeaux. Mais cette année, le contexte de la fête semble bien différent : je suis seule en plein Atlantique, sous 30 degrés, le dîner somptueux a été remplacé par un dîner à base de lyophilisés accompagné d’eau dessanalisée, et fort heureusement des cadeaux.

Peggy en train de ramer

L’occasion ne m’empêche pas de respecter les 10 heures journalières. La mise en place d’un petit planning s’impose : rangement de la cabine, brin de toilette facilité par l’arrivée d’un grain en fin d’après midi, vêtements propres, épilation, maquillage léger.

Ce n’est pas parce que je suis toute seule que je vais me laisser aller ! ! !

Pour en revenir au dîner, c’était assez sommaire, je ne suis pas un cordon bleu à terre, alors en mer ! ! !

cadeaux de Noël

Au menu, salade de thon et de maïs en boîte, des pâtes à la carbonara lyophilisées, et une compote de pomme en dessert.

Arrive ensuite le moment tant attendu : les cadeaux qui pour des raisons de place devaient être peu encombrants : des petits bracelets, un collier, des décorations pour la cabine, une boîte de foie gras, des magazines humoristiques… je parle toute seule, je fais mes petits commentaires sur chaque paquet.

Les larmes coulent à la lecture des cartes accompagnant les cadeaux. Tous me souhaitent un joyeux Noël. De nombreux amis et ma famille me téléphonent, je suis tellement heureuse de parler avec eux, je veux tout savoir sur leur soirée. Où sont-ils, le menu de Noël, les cadeaux et ce dans les moindre détails.

Je voyage dans ma tête, je m’évade…