PEGGY BOUCHET
1ère femme à avoir osé traverser l’Atlantique à la rame
1998: Une victoire inachevée
Crédits photo : Guillaume Plisson
Crédits photo : Guillaume Plisson
Le compte à rebours
Le 27 mai 1998 : dans trente heures je dois couper ma ligne d’arrivée après 79 jours de mer. Je suis tellement heureuse. Il est 7H. À l’approche des îles, le courant et les vagues forcissent. La mer est croisée, hostile, des vagues de la taille d’un bâtiment de plus de deux étages déferlent puissamment sur la coque de mon bateau. Je prends soin de mettre mon harnais et j’ouvre mon hublot pour sortir mes avirons. En un éclair, une violente déferlante fait chavirer le bateau.
Le chavirage
Je me retrouve en quelques dixièmes de secondes, coincée sous mon embarcation par le harnais qui m’empêche de remonter à la surface. Dans la panique, je m’agite dans tous les sens, à court d’oxygène. Les secondes semblent durer des heures. Enfin, je reprends mes esprits, remonte le long de la ligne de vie, ouvre le mousqueton qui m’amarre au bateau. Je me réfugie sous le cockpit dans une poche d’air pour reprendre mon souffle. Je tente de redresser le bateau, en vain. En quelques secondes, l’eau s’est engouffrée à l’intérieur, il semble peser des tonnes. Il est immergé à 80%.
En survie
C’est fini ! … Je comprends alors que je ne couperai pas ma ligne d’arrivée. Je suis à moins de 130 kilomètres des côtes guadeloupéennes, après en avoir parcouru près de 5500 à bout de bras. Un bref sentiment de frustration et d’injustice s’efface pour laisser place à une priorité : SURVIVRE. Première étape : déclencher ma balise de détresse. En théorie, le temps de repérer le signal de détresse, d’avertir les secours et d’assurer le sauvetage en avion, dans moins de 2 heures, je devrais être tirée d’affaire…
Repousser ses limites
Je resterai pendant près de 9 heures en survie, à califourchon sur la coque de mon bateau retourné. Mon seul espoir repose sur l’hypothèse que les secours me trouvent avant la tombée de la nuit. Passé cette échéance, je n’ai plus aucune certitude quant à mon avenir proche. Quelques mètres plus bas, j’aperçois avec effroi deux requins de 4 mètres qui se délectent des réserves de nourriture lyophilisée qui s’échappent du bateau.
Depuis le chavirage, j’ai dû plonger une vingtaine de fois dans la cabine avant de récupérer une autre balise de détresse de peur que la première ne fonctionne pas. Avant chaque plongée, je scrute la hauteur des vagues, choisissant les moins puissantes afin d’éviter d’être assommée à l’intérieur de la cabine. Avant chaque plongée, je scrute la hauteur des vagues, choisissant les moins puissantes afin d’éviter d’être assommée à l’intérieur de la cabine. Je n’ai plus rien à perdre. J’ai peur que le bateau sombre. Je suis épuisée.
Mon embarcation ne flotte plus qu’entre deux eaux. Rougis par le sel, les yeux me brûlent. J’ai froid. Je suis dans l’eau depuis près de 9 heures. Il est 16h00, dans moins d’une heure le soleil se couchera. J’ignore si je serai toujours en vie pour contempler l’aube demain matin.
Dernière chance…
Soudain, un bruit d’avion attire mon attention, il se dirige dans ma direction. J’agite les bras avec mes balises. Il ne me voit pas. La déception est immense ! Très vite, je dois absolument trouver une solution, car l’occasion ne se représentera sans doute pas une seconde fois. À bord, je dispose de fusées de détresse et de fumigènes stockées dans des coffres étanches mais en y accédant l’eau s’infiltrera davantage dans le bateau qui risquera de sombrer encore plus rapidement. Je n’ai plus rien à perdre.
Je ne peux et ne veux pas mourir après tant d’efforts et de sacrifices si près de cette arrivée tant rêvée. Après plusieurs tentatives, je parviens enfin à les récupérer.
Crédits photos : Guillaume Plisson
Le sauvetage
20 minutes plus tard, un nouvel avion apparaît, j’envoie mes fusées de détresse, il me survole, il tourne, un signe d’ailes, ils m’ont repérée. L’avion des douanes me largue un canot de survie à moins de 5 mètres. La rage au cœur, je dois abandonner mon bateau, fidèle compagnon de route, j’amarre ma balise Argos au safran en espérant le revoir. Je serai ensuite récupérée par un cargo de plus de 250 m de long mais surtout haut de 20 m. Une échelle de corde qui pend et ondule sur sa coque me paraît insaisissable et sans fin. Ce sauvetage effectué à la tombée de la nuit dans une mer démontée durera plus de 2 heures.
L’accueil à bord fut extraordinaire, il en est de même le lendemain avec les gardes côtes américains qui me récupèrent pour rejoindre Pointe-à-Pitre où familles, amis, officiels sont heureux de m’accueillir. Pour eux, j’ai réussi un record ; pour moi, c’est une « victoire inachevée ».
À l’issue de ce premier périple, je n’ai pas coupé ma ligne d’arrivée mais néanmoins je suis la première à démontrer qu’une femme pouvait le faire. Je me promets de recommencer pour réussir.
PEGGY BOUCHET
« Oser toujours , céder parfois, renoncer jamais » ©
1ère femme à avoir osé traverser l’Atlantique à la rame